16 juillet 2022 Par admin

Passé – Présent : De Ino à Pape Mamadou Seck : Sur la piste des évadés

Dans les années 1990, la banlieue dakaroise était sous la coupe réglée de Alex et Ino, une bande de malfaiteurs spécialisés dans les cambriolages, vols de voiture. Ils dictaient leur loi dans d’autres zones du pays avant de finir en prison. Et c’est la naissance de leur légende car ils réussiront à s’évader de la Mac de Rebeuss en 1999. 23 ans après leur échappée inédite, qui les a menés jusqu’en Gambie, Le Quotidien replonge ses lecteurs dans cette affaire qui avait défrayé la chronique, en donnant la parole aux acteurs qui ont participé à la traque et côtoyé le gang.

Pape M. Seck, écroué dans l’affaire dite de «Force spéciale», s’est évadé du Pavillon spécial de l’hôpital Aristide Le Dantec. C’est la dernière évasion la plus médiatisée du pays après les deux échappées de courte durée de Boy Djinné. Mais, la plus retentissante a eu lieu il y a un peu plus de 23 ans, avec comme tête d’affiche Ino. Même après son arrestation, il assurait à la présidente du Tribunal lors de son procès : «Madame la juge, je serai sincère pour vous dire que si l’occasion se présentait à nouveau, je vais encore m’évader. A 100 mètres, les conditions de détention sont difficiles, c’est pourquoi je m’étais évadé. Avant tout, je suis un être humain. Après mon arrestation, j’ai fait 38 jours de cellule. Je suis interdit de cour et on me refuse les soins. Ma dignité humaine est bafouée dans la détention», se plaignait-il. Et il l’avait retentée avant de finir sa course à Lompoul.
Avec Alex, il était la tête forte d’une redoutable bande de malfaiteurs. Un gang spécialisé dans les attaques de stations-services et les vols de véhicule. Abatalib Samb, alias Ino, diminutif d’«Innocent», Alassane Sy, alias Alex, le Sierra-Léonais, Abdou Konteh, surnommé «l’homme à la Kalachnikov», Boy Nar et Pape Ndiaye étaient aussi connus dans les cambriolages les plus spectaculaires, les vols de haute facture et d’autres forfaits dignes d’un roman de grand banditisme. Ils étaient tous des caïds. Ils étaient aussi connus isolément par les Forces de défense et de sécurité. En prison, le groupe s’est constitué et a réussi à s’évader. Cette fuite d’une bande de malfaiteurs qui terrorisaient le pays, met les autorités sur les dents.

«Ino et sa bande avaient des marabouts redoutables en Gambie»
Chargé d’une cellule des investigations à l’Etat-major de la Gendarmerie territoriale à l’époque, Aliou Kandji, Major à la retraite, faisait partie de ceux qui avaient engagé la chasse à l’homme. «Là où le véritable problème de Ino, Alex a été inscrit comme histoire, c’est lorsqu’ils ont fait leur évasion et qu’ils se sont constitués en bande : Alex, Ino, Pape Ndiaye, Abdou Konteh, Ifra Bâ. Ils ont fait ce qu’on appelle des cumuls et concours d’infractions sur l’ensemble du pays et plus particulièrement dans la région de Dakar», se remémore l’homme corpulent. Il est assis tranquillement dans son salon, orné d’un écran géant, de fauteuils et quelques portraits, une pile de documents surcharge une table. Le soleil, qui brillait, a cédé la place aux ténèbres. C’est l’heure du crépuscule. Mais, le récit de Major Kandji est aussi clair que la lumière de la lampe accrochée au plafond. «Ce qui a donné une notoriété à cette bande, c’est que suite à l’insécurité galopante dont ils étaient les auteurs, le Président Abdou Diouf a donné des instructions fermes à la police et la gendarmerie de mettre fin à leurs activités, sinon il allait prendre des mesures», dit-il. C’était lors d’un Conseil de défense tenu au palais de la République. Et le chef suprême des Armées venait de mettre la hiérarchie policière et de la gendarmerie devant leurs responsabilités.

Morts ou vivants, il fallait ramener les membres de la bande fondus «mystérieusement» dans la nature. Commence alors la chasse à l’homme. Le temps était compté. Petit-à-petit, les hommes de l’ombre retournent Dakar, notamment les quartiers de Thiaroye, Yeumbeul, Malika et Diamniadio. Très mobiles, ils seront localisés vers Sendou, ils vont être retracés par la suite vers Mbour. Dans cette ville située sur la Petite côte, Boy Nar, qui était «intéressé par les abattages», a été laissé par le reste de la bande qui s’est rendue en Gambie voisine, explique toujours le gendarme à la retraite. Les fugitifs poursuivent leur périple au-delà des frontières du pays. «Quand on est allés en Gambie, on les a recherchés, je les ai bien suivis, j’ai vu qu’ils étaient à Serekunda ; de Serekunda, ils ont rejoint Brikama. Et quand ils revenaient, ils partaient tout le temps à Brufut et Gunjur où se trouvaient des marabouts redoutables.» Or, Major Aliou Kandji et ses hommes connaissaient également les fréquentations du groupe, notamment les endroits où ils retrouvaient leurs copines.

La chasse à l’homme racontée par Major Kandji
Ino, Alex et consorts sont toujours localisés en territoire gambien. Mais dans les signalements des agents des renseignements, il a été constaté que Pape Ndiaye manquait à l’appel. «Parce que tout simplement un matin, lui, il avait maille à partir avec les policiers gambiens pour une affaire de femmes. Mais pour les Gambiens, il voulait voler une arme, donc ils l’ont fusillé, il était gravement blessé, il était à la prison.» C’est après qu’il sera conduit à l’hôpital sous la surveillance des agents pénitentiaires gambiens. Déterminés à mettre hors d’état de nuire cette bande, Kandji et ses éléments continuent leurs recherches avec l’assistance de leurs homologues de la Gambie. Ils avaient à leur disposition des véhicules, 2000 litres de carburant, de l’argent, au total 2 millions de francs Cfa. Pendant ce temps, Dakar est informée de tout, car les bulletins de renseignement sont envoyés par fax tous les jours au commandement par l’ambassadeur en Gambie, par l’entremise du ministère des Affaires étrangères. Partout au Sénégal, policiers et gendarmes sont mobilisés pour la traque. Dans leurs recherches, M. Kandji et Cie font un tour à la prison, ce qui leur a permis de savoir qu’un Sénégalais a été blessé par balle et interné dans une structure sanitaire. «Je l’ai infiltré en lui disant que j’étais un humanitaire sénégalais. Il nous a donné toutes les bonnes informations, sur tout», se souvient Major Kandji. Ce dernier avait même laissé de l’argent à Pape Ndiaye, menotté à son lit d’hôpital, en lui promettant de lui rendre visite encore. Elargi l’année dernière à la faveur d’une grâce présidentielle après 24 ans de prison, Pape Ndiaye a corroboré les propos de l’ex-homme de tenue sur le plateau de l’émission Balance de Walf Tv. Au moment où Pape Ndiaye, benjamin du groupe, était en train de pleurer sur son sort, le reste menait ses activités. La bande était à Banjul, rappelle M. Kandji, où ils fréquentaient «de riches dealers et puissants, qui s’appelaient Thioukél et El Ticko». C’est là-bas qu’ils ont été localisés. Les gendarmes sénégalais, à leur trousse depuis Dakar, étaient prêts à mener l’assaut. Mais quand il fallait attaquer le quartier, le Président Yahya Jammeh, qui craignait d’éventuels débordements, a refusé. Dakar sera informée de la décision de Banjul.

«Avec leurs coupe-coupe, ils pouvaient ravager toute une ville»
Pape Ndiaye, qui a été arrêté, a été transféré au Sénégal. Et Major Aliou Kandji et ses hommes décidèrent alors de rentrer au pays en les laissant tranquillement en Gambie, tout en espérant qu’un jour ou l’autre, ils reviendraient d’eux-mêmes. Exactement, quelques temps après, Ino et Cie sont rentrés sur le territoire sénégalais pour reprendre leurs activités délictuelles. «Un soir, ils ont attaqué la Cité des enseignants à Guédiawaye, après ils sont venus vers Grand-Yoff et ils sont partis chez leur receleur et on le connaissait, il habitait vers Yarakh.» Un élément infiltré s’y est rendu. A l’arrivée des éléments de la brigade de Yarakh, ils se sont exfiltrés en trombe. Ils venaient de s’échapper à nouveau. Quelques semaines plus tard, ils ont pris le pistolet d’un gendarme qui a été surpris à Popenguine, avant de continuer leur avancée vers l’intérieur du pays. Dans une autre localité, ils ont volé le véhicule de dotation d’un sous-préfet, un L200 tout neuf. Le chauffeur a été attaché et jeté en pleine brousse. Découvert, il a fait une déclaration à la gendarmerie. Du côté de la frontière mauritanienne, un receleur de nationalité mauritanienne les attendait pour acheter la voiture. «Je savais déjà qu’en 1h 30 mn, ils ne pouvaient pas aller à Rosso Sénégal. J’ai envoyé un message à la légion Nord pour toute unité de Dagana, Richard-Toll, Rosse Béthio, de ne laisser passer aucun véhicule de type L200», raconte Aliou Kandji. Et la nuit, en apprenant la nouvelle de l’interdiction de passage des véhicules L200 à la frontière, ils ont rebroussé chemin pour s’engouffrer dans le Diéri. Par contre ce qu’ils ne savaient peut-être pas, les renseignements avaient investi toute la zone. Commence alors un ratissage des villages, des hameaux. «En moins de 48 heures, ça a marché, quelqu’un a vu le véhicule caché dans un hameau. Et les gens étaient en train de griller de la viande de chèvre. On a mobilisé le Groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale (Gign), qui les a attaqués et les a cueillis, c’était dans le Walo vers Rosso Sénégal, c’est là où tous ont été arrêtés, en grande pompe». Et d’ajouter : «Il y avait des gens très dangereux parmi eux, comme Abdou Konteh. Il faisait partie des grands criminels de cette bande, les gens qui faisaient les crimes de sang.» Parmi leurs victimes, il y avait une bonne qui a été tuée et jetée dans une fosse septique. «Ils étaient dangereux et violents, avec leurs coupe-coupe, ils pouvaient ravager toute une ville», dit-il. Il rajoute qu’ils avaient beaucoup d’argent, surtout Alex, c’était un «vagabond économique, quelqu’un qui cherchait toujours de l’argent». Après leur arrestation tant médiatisée, ils se sont évadés de nouveau. Ino a été pris à Lompoul, avec l’aide d’un pêcheur qui l’avait reconnu grâce aux avis de recherche. Déséquilibré, épuisé, il errait comme une âme en peine. Il décéda à l’âge de 28 ans, le 29 janvier 2005, sans être jugé, contrairement à ses copains.

Le film d’une évasion spectaculaire

A la première évasion, celle du 2 au 3 février 1999, la bande à Ino s’était affûtée pour le rendez-vous de 21 heures. L’édition du journal Walffadjri du 19 et 20 juin 1999 déroulait ainsi ce Rebeuss break. «Le garde pénitentiaire, Moustapha Wélé, faisait le tour des secteurs 1 et 3 de la prison. Son collègue, Cheikh Tidiane Dramé, lui, s’occupait du secteur 2 et des autres. A la chambre 10, celle de Ino, Boy Nar, Pape Ndiaye et Babaly Traoré, Dramé retire les plats en même temps que Wélé au secteur 3.» Le même article poursuivait pour dire que les détenus ont profité de la réduction de l’effectif des gardes pénitentiaires dans les secteurs. L’offensive est lancée par Boy Nar (différent du lutteur) qui se jeta sur Dramé pour l’étrangler. Un autre caïd lui balance un cadenas. Dramé maîtrisé, saigne. Ino, lui, subtilise son pull-over réglementaire, l’enfile et prend la direction des opérations. Du mirador, les sentinelles n’ont pas une vue prenable sur le fugitif qui balaie tout sur son passage, rien qu’avec des mots. «Nous sommes armés et tirerons sur quiconque bouge.» C’est fait. Il vient de se faire la belle en compagnie de ses acolytes, Boy Nar et Pape Ndiaye, tandis que Babaly Traoré s’affale au sol. La plus célèbre, ténébreuse et médiatisée des évasions dans l’histoire carcérale du Sénégal et de Rebeuss venait de se produire. Ino se lance dans le déballage et révèle que «(ses) complices étaient à l’intérieur de Rebeuss dont le régisseur adjoint, mais aussi dehors». C’est ainsi qu’après investigation, deux fils du célèbre turfiste, Bada Lô, en l’occurrence Mbaye Kane Lô et Mame Cheikh Lô, soupçonnés d’avoir négocié l’évasion avec des éléments de l’administration pénitentiaire moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, ont été arrêtés. Evidemment, une trentaine de personnes dont de grandes personnalités publiques vont être entendues pour recel. Alex et Pape Ndiaye, condamnés à la perpétuité, ont obtenu une grâce présidentielle après plus de 20 ans de détention.

Le film d’une évasion spectaculaire

A la première évasion, celle du 2 au 3 février 1999, la bande à Ino s’était affûtée pour le rendez-vous de 21 heures. L’édition du journal Walffadjri du 19 et 20 juin 1999 déroulait ainsi ce Rebeuss break. «Le garde pénitentiaire, Moustapha Wélé, faisait le tour des secteurs 1 et 3 de la prison. Son collègue, Cheikh Tidiane Dramé, lui, s’occupait du secteur 2 et des autres. A la chambre 10, celle de Ino, Boy Nar, Pape Ndiaye et Babaly Traoré, Dramé retire les plats en même temps que Wélé au secteur 3.» Le même article poursuivait pour dire que les détenus ont profité de la réduction de l’effectif des gardes pénitentiaires dans les secteurs. L’offensive est lancée par Boy Nar (différent du lutteur) qui se jeta sur Dramé pour l’étrangler. Un autre caïd lui balance un cadenas. Dramé maîtrisé, saigne. Ino, lui, subtilise son pull-over réglementaire, l’enfile et prend la direction des opérations. Du mirador, les sentinelles n’ont pas une vue prenable sur le fugitif qui balaie tout sur son passage, rien qu’avec des mots. «Nous sommes armés et tirerons sur quiconque bouge.» C’est fait. Il vient de se faire la belle en compagnie de ses acolytes, Boy Nar et Pape Ndiaye, tandis que Babaly Traoré s’affale au sol. La plus célèbre, ténébreuse et médiatisée des évasions dans l’histoire carcérale du Sénégal et de Rebeuss venait de se produire. Ino se lance dans le déballage et révèle que «(ses) complices étaient à l’intérieur de Rebeuss dont le régisseur adjoint, mais aussi dehors». C’est ainsi qu’après investigation, deux fils du célèbre turfiste, Bada Lô, en l’occurrence Mbaye Kane Lô et Mame Cheikh Lô, soupçonnés d’avoir négocié l’évasion avec des éléments de l’administration pénitentiaire moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, ont été arrêtés. Evidemment, une trentaine de personnes dont de grandes personnalités publiques vont être entendues pour recel. Alex et Pape Ndiaye, condamnés à la perpétuité, ont obtenu une grâce présidentielle après plus de 20 ans de détention.