[Portrait] Adji Sarr, femme de mars
Le 3 Mars est une date chargée d’histoires pour Adji Sarr. C’est le jour de son anniversaire. Elle coïncide, également avec l’une des plus grosses déflagrations de l’histoire politico-sociale du Sénégal, dont elle est, elle-même, perçue comme le détonateur. Seneweb retrace le parcours de la jeune fille sans histoire des Îles Saloum, devenue la principale protagoniste du plus grand scandale politico-sexuel du Sénégal.
Elle aura été le détonateur de l’un des plus grands scandales sexuels au Sénégal. En quelques heures du début du mois de février 2021, la masseuse de 20 ans à l’époque, Adji Raby Sarr, est passée de l’anonymat au statut de célébrité. Jusqu’alors inconnue du grand public, elle est sortie de l’ombre après une plainte pour ‘’viols répétés et menaces de mort contre l’opposant Ousmane Sonko dont la cote de popularité s’enflait et se répandait à travers tout le pays.
Dans la plainte, Adji Sarr affirme que celui qui est arrivé troisième lors de la présidentielle 2019, client de Sweet Beauté où elle travaillait, lui aurait exigé des «faveurs sexuelles» et l’aurait menacée de mort avec deux armes. ‘’Il m’a transformée en objet sexuel et je n’arrive plus à vivre ces viols répétés’’, dit-elle, selon un extrait de la plainte diffusé dans des médias sénégalais. Une information qui fait l’effet d’une bombe. Depuis lors, le nom de la jeune masseuse revient dans tous les talk-shows. Tout le monde a un avis sur Adji Sarr..
Très vite Sonko-Adji Sarr devient et restera, sans doute, à tout jamais «la relation inappropriée», la «faute morale» «orchestré» par la masseuse, inavouée par le leader du parti Pastef, Ousmane Sonko qui a conduit à 14 morts lors des émeutes de mars 2021. L’affaire est aussi devenue un phénomène médiatique et le révélateur d’un profond malaise au Sénégal. Ce scandale dénommée ‘’affaire Sweet Beauté’’ continue de secouer le pays et le sexe est au centre de cette histoire qui est loin de connaître son épilogue.
Clichés négatifs de la masseuse
Avant l’éclatement de cette affaire, Adji a vécu comme une citoyenne ordinaire. Une jeune fille parmi tant d’autres qui s’activent dans le milieu des salons de beauté où de massage dans la capitale sénégalaise. Elle était inconnue. Mais son visage est découvert quelques heures après sa plainte contre Sonko.C’est seulement le 17 mars 2021 qu’elle apparaît pour la première fois dans une interview accordée à des confrères. Le visage hagard, la voix tremblotante, Adji tient un discours alambiqué.
Et depuis lors elle fait l’objet d’une accumulation de clichés négatifs. Certaines personnes la dépeignent comme une paria. Une jeune fille de mœurs légère qui n’hésite pas à se mettre dans toutes sortes de combines pour arriver à ses fins. D’autres la taxent de femme matérialiste.
Dans un audio qui a été posté dans les réseaux sociaux une dame qui disait être l’ex-femme de son oncle révèle qu’Adji Sarr a été mariée et mère d’un enfant alors qu’elle soutenait être vierge. Une information balayée par des membres de sa famille. ‘’Adji n’a pas été mariée et elle n’a pas d’enfant. Ce sont des contre-vérités’’, dément Famara Sarr frère de la masseuse.
Adji et ses ‘’16 prétendants’’
Cette affaire de présumé viol par le leader de Pastef a fait d’Adji Sarr, semble-t-il, une proie qui attire des responsables politiques et hommes religieux. Si certains s’intéressent à la masseuse pour solder des comptes avec un adversaire politique, d’autres chercheraient à avoir des relations avec la jeune fille. D’ailleurs le guide religieux Baye Mbaye Niasse qui soutenait avoir des preuves irréfutables que cette affaire est un complot contre Sonko, a été convoqué par le doyen des juges. Après son audition MC Niasse avait publié un audio dans lequel, Adji Sarr soutenait avoir une liste de 16 personnalités avec qui elle avait eu des connexions. Une histoire vraie ou du bluff ? Une chose est sûre: depuis le début de cette affaire les informations aussi contradictoires les unes que les autres relatives à la vie de sur Adji Sarr sont étalées sur la place publique. Des baratins qui continuent d’alimenter les débats et qui écornent la réputation de la jeune fille.
Sérère bon teint, jeune fille pieuse
Pourtant dans son fief natal à Maya, dans les îles du Saloum, Adji Sarr est décrite comme une fille très bien éduquée. «Adji n’est ni une mauvaise personne, ni une dévergondée. Encore moins une fille mal éduquée. Née et éduquée dans la pure tradition Sérère, elle a été élevée dans la dignité, le respect et le courage», témoigne sa grand-mère, Sattou Ndong qui a guidé ses premiers pas. Son père Fabirama Sarr, abonde dans le même sens: ‘’Nous sommes des disciples de Cheikh Tidiane Cherif. On croit à la volonté. Mais il y a beaucoup de contre-vérités qui se disent sur Adji Sarr. Mais Adji Sarr est une fille pieuse. C’est un disciple de Baye Niasse.’’
Issue d’un père sérère Niominka originaire de Fambène et d’une maman Sinnin, sérère du Sine, Adji Sarr, qui a perdu sa mère très jeune, est la plus choyée de la famille par son père. ‘’ J’ai un amour inestimable envers Adji Sarr. Parfois même elle s’interroge sur l’amour que j’ai envers elle. Je lui dis souvent que j’ai seulement trois fils’’, renchérit Fabirama, le père de l’accusatrice du leader de Pastef. Mais pour une bonne éducation, elle confie sa fille à sa tante maternelle, Sattou Ndong, à l’âge de deux ans. Adji passe l’essentiel de son enfance avec cette dame qui guide ses premiers pas à Maya. ‘’J’ai confié Adji Sarr à ma tente maternelle, quand elle venait d’être sevrée. Elle a commencé ses études auprès d’elle’’, informe son père Fabirama Sarr.
Sattou Ndong se souvient toujours des moments qu’elle a passée avec petite-fille. ‘’Adji était une fille sincère et elle ne savait pas mentir. Quelle que soit la situation, elle tenait à dire la vérité. C’était une fille futée et ouverte d’esprit. Elle avait le commerce facile. Adji a appris très tôt à faire la cuisine et elle assurait bien. Avec ses autres cousines, elles préparaient les repas. Mais toute la famille s’impatientait que son tour arrive, parce qu’elle faisait de bons plats. Elle savait cuisiner. C’était un cordon-bleu’’, se souvient-elle.
C’est à Maya qu’Adji Sarr a commencé ses humanités avant d’aller à Djirna pour poursuivre ses études. Comme la majeure partie des jeunes de sa localité, elle profitait de ses vacances pour aller chercher du travail de femme ménagère dans la capitale. Par la suite, elle décida de terminer ses études à Dakar. Elle sera d’abord accueillie par sa tante Mariama Sarr à Pikine Guinaw Rail avant de rejoindre sa tante maternelle à Grand Yoff. Mais elle finit par abandonner les études pour chercher du travail. Elle est ensuite recommandée à la patronne de Sweet Beauté par une connaissance. Elle est recrutée et se fait appeler Aicha à Sweet Beauté jusqu’à cette affaire de viol présumé qui le place au centre des débats.
3 mars, jour d’anniv malheureux
Les faits remontent à février 2021 dans le quartier de Sacré-Cœur-III, dans la nuit du 2 au 3 février. Cette nuit-là, Adji Sarr se présente à la section de recherches de la gendarmerie de Colobane pour déposer une plainte contre Ousmane Sonko. Elle accuse le député de l’opposition de l’avoir violée sous la menace à quatre occasions, la dernière datant de la nuit du dépôt de la plainte.
Ousmane Sonko est convoqué le 3 mars 2021 pour une audition devant le juge d’instruction. Une foule de militants l’accompagne. Sur le chemin, son convoi est arrêté par la gendarmerie. Après quelques tiraillements sur son itinéraire, il est arrêté et conduit à la section de recherche de Colobane pour troubles à l’ordre public. Mais derrière lui, la situation dégénère. Il s’ensuit des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre qui s’étendent comme une traînée de poudre dans la capitale et un peu partout dans le pays. 14 personnes sont mortes lors des émeutes.
Curieusement ce jour du 3 mars coïncide avec la naissance de l’accusatrice du maire de Ziguinchor. La célébration de ses 21 ans sera l’un de ses plus malheureux anniversaires de sa vie. Ces journées meurtrières avait, sans doute, affecté mentalement la jeune masseuse. ‘’Si je savais que les choses allaient en arriver là, j’allais garder mon mal. Je demande pardon à tous ceux ont perdu un proche dans cette affaire et je leur présente mes condoléances’’, dit-elle.
Psychologiquement la plaignante dans l’affaire ‘’Sweet Beauté’’ semble être dépassée par les événements, selon Gabrielle Kane, une de ses défenseurs. ‘’Adji Sarr, qui n’est pas préparé, qui traîne des problèmes mentaux depuis lors, n’a pas eu de prise en charge psychologique. Et ils veulent emmener cette fille au procès. Ils sont en train de sacrifier la petite », prévenait la féministe.
Mais, malgré la pression qui pèse sur elle, la native de Maya n’a pas l’intention de céder. ‘’Je suis une femme battante, j’ai surmonté tout ce qui s’est passé au cours de l’année précédente. Je vais me battre jusqu’au bout. D’un côté, j’ai peur du harcèlement et des insultes qui vont ressortir, mais en même temps je veux me battre et il est temps que l’on arrête de parler à ma place’’, lance-t-elle.
Deux ans après la plainte déposée par Adji Sarr contre Ousmane Sonko pour ‘’viols répétés et menaces de mort’’, la justice sénégalaise a renvoyé l’affaire devant la chambre criminelle. Aucune date n’a pour le moment été retenue pour la tenue d’un procès.